Discours du 12 février 1968 aux membres du Tribunal de la Rote romaine pour l’inauguration de l’année judiciaire
de Paul VI
Date de publication : 12/02/1968
Texte original
Texte Français
DISCOURS DU PAPE PAUL VI
À L'OCCASION DE L'INAUGURATION DE L'ANNÉE JUDICIAIRE
DU TRIBUNAL DE LA ROTE ROMAINE
12 février 1968
" LA ROTE SERVICE D’ÉGLISE "
Voir aujourd'hui réunis autour de Nous les prélats auditeurs de la Sacrée Rote romaine, les autres prélats et officiaux de ce Collège et les avocats chargés de la défense auprès de ce tribunal ecclésiastique, est pour Nous un motif de vive satisfaction, de réconfort et de consolation. Il est aussi consolant de pouvoir redire une fois encore quelle estime et quelle considération Nous entretenons pour vos personnes et pour le travail que vous consacrez à l'accomplissement du rôle délicat et ardu que l'Eglise a voulu vous confier.
Comme pour attester cette estime et cette considération, Nous aimons rappeler ce que Nous avons voulu récemment exprimer en élevant à la dignité cardinalice celui qui était alors le doyen des auditeurs de la Sacrée Rote, afin de pouvoir ensuite consacrer à un service encore plus complet de l'Eglise et du Saint-Siège les vertus choisies et les dons précieux de Monsieur le cardinal Francis Brennan.
Nous sommes aussi très heureux d'adresser aujourd'hui Notre salut particulier au nouveau doyen de ce Collège, Mgr Boleslas Filipiak. En même temps que Nous le remercions du message qu'il a voulu Nous adresser, Nous entendons rappeler les titres nombreux et très valables pour lesquels il assure aujourd'hui si dignement cette haute charge. Parmi ces titres, se détachent au premier rang la solide préparation et les études sérieuses; il Nous plaît d'y ajouter celui qui tient à sa patrie d'origine, la Pologne, qui Nous est si chère, non seulement pour des souvenirs personnels particuliers, mais encore en raison de la merveilleuse fidélité à l'Eglise qui représente sans confusion possible la caractéristique de ce pays.
Notre rencontre actuelle Nous offre l'heureuse opportunité de relever, ne serait-ce que brièvement, quelques thèmes de grand intérêt pour nous tous en particulier, le service nécessaire et irremplaçable que votre tribunal rend à l'Eglise dans l'exercice de la potestas judicandi ; la contribution précieuse que votre Collège a offerte et offre aux activités du Siège apostolique; les perspectives d'utilisation ultérieure de cette contribution en vue d'accomplir les devoirs qui actuellement se présentent à l'Eglise dans le domaine juridique.
Service nécessaire à l'Eglise et au Pape
La fonction judiciaire de la sacra potestas que le Sauveur a donnée à l'Eglise, comme le complément nécessaire de la fonction législative, est liée aussi au caractère profondément humain de l'Eglise; celle-ci, tout en étant sainte, demeure cependant sujette aux manquements de ses membres. Saint Paul, dans sa première lettre aux Corinthiens, met en relief cette fonction qui est propre à l'autorité ecclésiastique, lorsqu'il interdit aux fidèles de se tourner vers les tribunaux païens pour résoudre leurs différends (1Co 6,1-7 1Co 5,4). A ce précepte de l'Apôtre se reporte saint Augustin: " Les méchants oppriment les faibles et les obligent à nous déférer leurs causes. Et nous n'osons pas leur dire: dis-moi, homme, qui m'a constitué juge et arbitre entre vous? L'Apôtre a voulu en effet que les ecclésiastiques soient compétents pour de telles causes, en interdisant aux chrétiens de soumettre leurs différends aux tribunaux civils (Enar. In Ps. 118, serm 24,3; PL 37,1570) ".
En reprenant les enseignements de l'Ecriture et de la Tradition que Nous avons à peine effleurés ici, le Concile Vatican II n'hésite pas à affirmer dans la constitution Lumen gentium " En vertu de ce pouvoir, les évêques ont le droit sacré et, aux yeux du Seigneur, la charge de légiférer pour leurs sujets, de juger et de régler tout ce qui touche au domaine du culte et de l'apostolat " LG 27.
Mais cette charge sacrée de juger apparut dès les premiers siècles particulièrement difficile pour le Siège de Rome, auquel, en raison de sa fonction primatiale - propter potentiorem principalitatem (St Irénée Contra haereses 3,3,2 PG 7,848) - furent de plus en plus fréquemment déférées par les pasteurs et les fidèles les controverses qui surgissaient dans les communautés locales. De là vint la nécessité pour l'Evêque de Rome de s'assurer une certaine forme d'assistance et d'aide pour être en état d'accomplir la lourde charge d'administrer la justice; assistance et aide qui, à la suite d'une évolution longue et multiforme, se trouva finalement consacrée par Notre prédécesseur Jean XXII dans l'institution de votre vénérable Collège sous la dénomination d'" Auditeurs du Sacré Palais " (Const. Ratio iuris a 1326). Depuis lors, c'est aux auditeurs de la Rote et à leur probité qu'est confiée la fonction nécessaire et irremplaçable de juges apostoliques.
Contribution de la Rote aux activités du Siège apostolique
En regardant l'histoire de ces siècles, il Nous est particulièrement agréable de rappeler le souvenir de l'immense somme de travail qu'ont accompli tous ceux qui vous ont précédés, comme membres de ce Collège, afin d'exalter leurs mérites au service de l'Eglise, leur science remarquable, leurs vertus éminentes. Ils furent appelés, dès les commencements " Hommes d'une doctrine et d'une probité insignes " (Ref. à J. Emerix). Jacques Emerix, dans son Tractatus seu Notitia S. Rotae Romanae, écrit au XVIIe siècle (récemment édité par un insigne homme d'étude, membre de votre Collège, Mgr Ch. Lefebvre), trace comme un portrait spirituel de votre tribunal " Et avec le cours du temps le sacré Tribunal de la Rote, louable sur tous les points, s'éleva même à une telle supériorité que de son sein et à toutes les époques sortirent des hommes remarquables par la vertu et l'intégrité de leur vie, et parmi eux on peut nommer saint Raymond, saint Antonin, évêque de Florence, ainsi que sept papes ".
Cette éclatante probité de vie qui, chez ces auditeurs, ornait la vaste science de l'équitable et du juste, fit apparaître en eux comme une sorte de personnification de la justice " La justice vivante "; ce qui, d'après l'affirmation de saint Thomas, qui reprend la pensée d'Aristote, exprime précisément l'idéal du juge selon le sentiment du peuple
Il n'est donc pas étonnant que la "jurisprudence", que ces hommes ont mûrie, ait représenté un élément décisif dans l'élaboration de la législation ecclésiastique, à commencer par les Décrétales de Grégoire IX, et dans la formation du "Droit général".
Mais les mérites de votre Collège sont mis en relief par son activité actuelle non moins que par son merveilleux patrimoine du passé. Fidèle à sa tradition plusieurs fois séculaire, votre tribunal continue d'être aujourd'hui encore l'organe singulièrement expérimenté auquel le Pape confie la décision dans les causes déférées au Saint-Siège, en particulier les causes matrimoniales les plus délicates.
Voulant reconnaître ouvertement votre capacité qualifiée et désirant faciliter votre travail, Nous avons décrété dans Notre constitution apostolique Regimini Ecclesiae universae d'étendre la compétence de votre tribunal; en d'autres termes, Nous entendions confier à votre tribunal toutes les causes de nullité de mariage qui arrivent au Siège apostolique, même si les deux parties sont a-catholiques ou appartiennent à divers rites orientaux.
Votre " application quotidienne" à l'activité de juge prend, dans les circonstances d'aujourd'hui, l'ampleur d'une contribution exceptionnelle au bien de l'Eglise et de la société humaine. Alors qu'un sentiment anormal de la liberté voudrait précisément supprimer toute règle d'ordonnance juridique, alors qu'un certain esprit, plus superficiel que scientifique, n'hésiterait pas à substituer aux normes gravées par Dieu dans le cœur de l'homme un véritable relativisme juridique, vos décisions proclament ouvertement chaque jour l'existence d'une loi divine qui ne passe ni ne vieillit Mt 5,18 et tendent de façon autorisée à y rendre conforme la vie de tous ceux qui recourent à votre tribunal.
Perspectives de contribution de la Rote aux nouveaux devoirs de l'Eglise
Nous désirons en outre vous redire quel espoir le Saint- Siège place dans votre contribution précieuse et irremplaçable au sujet des deux problèmes dans lesquels l'Eglise est aujourd'hui engagée en matière juridique. Nous Nous référons avant tout à la révision du Code de droit canonique. L'expérience vaste et multiforme accumulée par votre tribunal dans les dernières années vous rend à même, aujourd'hui comme dans le passé, de fournir une matière abondante et de qualité en vue de la nouvelle législation. Non seulement, comme il est évident, la structure et la dynamique du procès canonique et la dogmatique du mariage, mais aussi les principes et institutions fondamentales du Droit canonique pourront être distingués de façon plus authentique et définis en termes plus sûrs, grâce à l'apport de la doctrine que contiennent vos décisions. A travers elles filtreront dans le nouveau Code les résultats qu'a heureusement atteints l'élaboration la plus récente du droit civil des nations, comme aussi les acquisitions de la science médicale et psychiatrique. Le sens profondément humain qui inspire vos sentences contribuera à porter la lumière sur le mystère de l'homme et du chrétien d'aujourd'hui, sur celui, en d'autres termes, qui sera le destinataire du Code rénové, auquel la nouvelle législation devra offrir une indication claire et une aide solide pour qu'il vive courageusement les vérités évangéliques et sa vocation personnelle dans l'Eglise du Christ.
Mais tout cet immense effort de révision du Code demeurerait en grande partie stérile si, dans le même temps, on ne pourvoyait pas à accroître le nombre de ceux qui se dédient aux études juridiques spécialisées et qui contribueront demain, de diverses manières et à des niveaux différents, à appliquer les lois renouvelées de l'Eglise.
C'est ici le second rôle ardu qui est demandé aujourd'hui à l'Eglise, pressée de rénover, avec les autres études ecclésiastiques, celle du Droit canonique. Nous entretenons l'espoir que votre Collège apportera là encore une contribution efficace, soit qu'il transmette à l'organisme compétent de sages suggestions en cette matière, soit qu'il continue à développer un travail authentique de formation de canonistes au moyen de votre Studio Rotale ; celui-ci a sans doute été érigé récemment, mais il s'est déjà acquis des mérites incontestés devant l'Eglise et devant la science.
La défense du mariage
Réfléchissant, enfin, aux paroles que Monsieur le Doyen a voulu Nous adresser au début de cette rencontre, Nous Nous rappelons y avoir perçu un accent d'inquiétude, un écho d'une préoccupation anxieuse, en raison des attaques qui dans la société actuelle prennent pour cible la sainte institution du mariage. Or ce cri d'alarme que vous, juges dans l'Eglise, vous avez fait entendre, s'il vient, en raison de l'attention qu'il mérite incontestablement, augmenter Notre souffrance et Notre peine, ce cri Nous offre tout autant une indication qui ranime Notre espoir et Notre confiance; c'est la certitude consolante que l'attitude spirituelle et l'engagement personnel avec lesquels vous vous appliquez à votre tâche, loin de se stériliser en une technicité froide et détachée, celle d'une bureaucratie, demeurent toujours sensibles à l'insertion dans la vie et aux finalités intimes de votre ministère la défense de l'union conjugale et spécialement la sauvegarde du don sacramentel qu'est le mariage, grâce auquel le Christ a voulu vivifier son Eglise, les membres de son Corps mystique.
Sur cette concordance des intentions et des engagements qui de nouveau s'est manifestée, Nous invoquons maintenant l'abondante effusion des grâces célestes, en gage desquelles Nous vous donnons à tous, de bon cœur et avec une affection paternelle, Notre Bénédiction apostolique.
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Consulté sur :
http://www.clerus.org/bibliaclerusonline/pt/jld.htm