Discours du 30 janvier 2003 aux membres du Tribunal de la Rote romaine pour l’inauguration de l’année judiciaire
de Jean-Paul II
Date de publication : 30/01/2003
Texte original
Texte Français
DISCOURS DU PAPE JEAN-PAUL II
À L'OCCASION DE L'INAUGURATION DE L'ANNÉE JUDICIAIRE
DU TRIBUNAL DE LA ROTE ROMAINE
30 janvier 2003
" REDECOUVRIR LA PLEINE VERITE SUR LE MARIAGE ET LA FAMILLE "
(Le 30 janvier à l'occasion de la nouvelle année judiciaire, Jean Paul II a reçu en audience au Palais apostolique les Prélats auditeurs, les Officiers et les avocats du Tribunal de la Rote romaine. Répondant à l'adresse d'hommage du doyen de la Rote, Mgr Raffaello FUNGHINI, il leur a adressé le discours suivant - Texte italien dans l'Osservatore romano du 31.1.2003 - Traduction et sous titres de la Doc. Catholique)
1 .- L'inauguration solennelle de la nouvelle année judiciaire du Tribunal de la Rote Romaine m'offre l'occasion de vous renouveler l'expression de ma profonde gratitude pour votre travail, très chers prélats auditeurs, promoteurs de justice, défenseurs du lien, officiers et avocats. Je remercie cordialement Mgr le Doyen pour les sentiments qu'il a manifestés au nom de tous et pour les réflexions qu'il a développées sur la nature et la fin de votre travail.
Depuis toujours, l'activité de votre Tribunal a été grandement appréciée par mes vénérés prédécesseurs, qui n'ont pas manqué de souligner qu'administrer la justice près la Rote romaine constitue une participation directe à un aspect important des fonctions du Pasteur de l'Eglise universelle.
D'où la valeur particulière dans le cadre ecclésial, de vos décisions qui constituent, comme je l'ai affirmé dans 'Pastor Bonus' un point de référence sûr et concret pour l'administration de la justice dans l'Eglise
2 .- Etant donné que les causes de nullité de mariage constituent nettement la majorité des cas qui sont soumis à la Rote, Mgr le Doyen a souligné la crise profonde qui affecte actuellement le mariage et la famille. Une donnée importante qui ressort de l'étude des causes est l'obscurcissement chez les contractants de ce que comporte, dans la célébration du mariage chrétien, la sacramentalité de celui-ci, aujourd'hui très fréquemment incomprise en sa signification ultime, sa valeur surnaturelle intrinsèque et quant à ses effets positifs sur la vie conjugale.
Après m'être arrêté les années précédentes sur la dimension naturelle du mariage, je voudrais aujourd'hui attirer votre attention sur le rapport particulier que le mariage des baptisés entretient avec le mystère du Christ, un rapport qui, dans l'Alliance nouvelle et définitive avec le Christ, revêt la dignité de sacrement.
La dimension naturelle et le rapport avec Dieu ne sont pas deux aspects juxtaposés: au contraire ils sont très intimement liés, comme le sont la vérité sur l'homme et la vérité sur Dieu. Ce thème me tient particulièrement à cœur : je reviens sur ce thème dans ce contexte également parce que la perspective de la communion de l'homme avec Dieu est plus que jamais utile, et même nécessaire, pour l'activité même des juges, des avocats et de tous ceux qui œuvrent dans le domaine du droit de l'Eglise.
Sécularisation et crise du mariage
3 .- Le lien entre la sécularisation et la crise du mariage et de la famille est plus qu'évident. La crise du sens de Dieu et du sens du bien et du mal est arrivée à obscurcir la connaissance des fondements mêmes du mariage et de la famille qui est fondée sur le mariage. Pour retrouver effectivement la vérité en ce domaine, il faut redécouvrir la dimension transcendante qui est intrinsèque à la vérité plénière sur le mariage et la famille, en éliminant toute dichotomie tendant à séparer les aspects profanes des aspects religieux, comme s'il existait deux mariages: un mariage profane et un autre sacré.
"Dieu créa l'homme à son image: à l'image de Dieu il le créa; homme et femme il les créa" (Gn 1,27). L'image de Dieu se trouve aussi dans la dualité homme-femme et dans leur communion interpersonnelle. Aussi la transcendance est-elle inhérente à l'être même du mariage, dès le commencement, parce qu'elle dans la distinction naturelle même entre l'homme et la femme dans l'ordre de la création. Par le fait qu'ils sont "une seule chair" (Gn 2,24), l'homme et la femme, tant dans leur aide réciproque que dans leur fécondité, participent à quelque chose de sacré et de religieux, comme l'a bien mis en relief, en se référant à la conscience que les peuples anciens avaient du mariage, l'Encyclique Arcanum divinae sapientiae de mon prédécesseur Léon XIII. A cet égard il observait que le mariage "dès le commencement, a été comme une figure (adumbratio) de l'Incarnation du Verbe de Dieu". Dans l'état d'innocence originelle, Adam et Eve avaient déjà le don surnaturel de la grâce. Ainsi, avant que l'Incarnation du Verbe se produisit historiquement, son efficacité de sainteté se répandait déjà sur l'humanité.
4 .- Malheureusement, par l'effet du péché originel, ce qui est naturel dans le rapport entre l'homme et la femme risque d'être vécu d'une manière non conforme au plan et à la volonté de Dieu, et l'éloignement de Dieu, implique en soi une déshumanisation proportionnelle de toutes les relations familiales. Mais dans la "plénitude des temps" Jésus lui-même a restauré le dessein primordial sur le mariage (Mt 19,1-12) et, ainsi, dans l'état de nature rachetée, l'union entre l'homme et la femme peut non seulement réacquérir la sainteté originelle, en se libérant du péché, mais est réellement introduite dans le mystère même de l'alliance du Christ avec l'Eglise.
La lettre de Saint Paul aux Ephésiens relie directement le récite de la Genèse à ce mystère: "A cause de cela l'homme quittera son père et sa mère, il s'attachera à sa femme et tous deux ne feront plus qu'un" (Gn 2,24). Ce mystère est grand: je le dis en pensant au Christ et à l'Eglise" (Ep 5,31) Le lien intrinsèque entre le mariage, institué au début, et l'union du Verbe incarné avec l'Eglise apparaît dans toute son efficacité salvifique grâce au concept de sacrement. Le Concile Vatican II exprime cette vérité de foi du point de vue des personnes mariées: "Par la vertu du sacrement de mariage, qui leur donne de signifier en y participant le mystère de l'unité et de l'amour fécond entre le Christ et l'Eglise (Ep 5,32) les époux chrétiens s'aident mutuellement à se sanctifier dans la vie conjugale, dans l'accueil et l'éducation des enfants; en leur état de vie et dans leur ordre, ils ont ainsi dans le Peuple de Dieu leurs dons propres" (LG 11). Sitôt après, le Concile présente le lien étroit entre ordre naturel et ordre surnaturel également en référence à la famille, inséparable du mariage et vue comme "Eglise domestique " (LG 11).
Pourquoi doit-on rester fidèle ?
5 .- La vie et la réflexion chrétienne trouvent dans cette vérité une source inépuisable de lumière. En effet, la sacramentalité du mariage constitue une voie féconde pour pénétrer dans le mystère des rapports entre la nature humaine et la grâce. Dans le fait que ce même mariage qui existait au commencement est devenu dans la loi nouvelle signe et instrument de la grâce du Christ, apparaît en évidence la transcendance constitutive de tout ce qui appartient à l'être de la personne humaine, et en particulier, à sa rationalité naturelle selon la distinction et la complémentarité entre l'homme et la femme. L'humain et le divin sont étroitement liés de manière admirable.
La mentalité d'aujourd'hui, grandement sécularisée, tend à affirmer les valeurs humaines de l'institution familiale en les détachant des valeurs religieuses et en proclamant qu'elles sont entièrement autonomes par rapport à Dieu. Influencée comme elle l'est par les modèles de vie trop souvent proposés par les médias, elle se demande: "Pourquoi doit-on être toujours fidèle à l'autre conjoint?", et cette question se transforme en doute existentiel dans les situations critiques. Les difficultés conjugales peuvent être de nature diverses, mais toutes débouchent finalement sur un problème d'amour. Aussi l'interrogation précédente peut-elle être reformulée ainsi: pourquoi faut-il toujours aimer l'autre, même quand tant de raisons, apparemment justifiées, conduiraient à le quitter?
On peut donner de nombreuses réponses, parmi lesquelles sans doute ont une grande force le bien des enfants et le bien de la société tout entière, mais la réponse la plus radicale passe avant tout par la reconnaissance du fait objectif que l'on est conjoints, et cela vu comme un don réciproque, rendu possible et avalisé par Dieu lui-même. Aussi la raison ultime du devoir d'amour fidèle n'est autre que celle qui est la base de l'Alliance divine avec l'homme: Dieu est fidèle! Pour rendre possible la fidélité du cœur à l'égard de son conjoint, même dans les cas les plus durs, c'est donc à Dieu qu'il faut recourir, dans la certitude de recevoir son aide. La voie de la fidélité mutuelle passe, du reste, par l'ouverture à cette charité du Christ qui "supporte tout, fait confiance en tout, espère tout, endure tout" (1Co 13,7). En tout mariage est rendu présent le mystère de la Rédemption, réalisée par une participation réelle à la Croix du Sauveur, selon ce paradoxe chrétien qui lie le bonheur à la souffrance assumée dans un esprit de foi.
6 .- De ces principes on peut tirer de multiples conséquences pratiques, de caractère pastoral, moral et juridique. Je me limite à en énoncer certaines liées tout spécialement à votre activité judiciaire. Tout d'abord, vous ne pouvez jamais oublier que vous tenez entre vos mains ce grand mystère dont parle Saint Paul Ep (5,32), qu'il s'agisse d'un sacrement au sens strict, ou d'un mariage qui porte en lui le caractère sacré du commencement, car il est appelé à devenir sacrement par l'intermédiaire du baptême des deux époux. La considération de la sacramentalité met en relief la transcendance de votre fonction, le lien qui l'unit effectivement à l'économie salvifique. Le sens religieux doit donc imprégner tout votre travail. Des études scientifiques sur cette matière à l'activité quotidienne dans l'administration de la justice, il n'y a pas de place dans l'Eglise pour une vision purement immanente et profane du mariage, tout simplement parce que cette vision n'est pas théologiquement et juridiquement vraie.
Une réalité sacrée
7 .- Dans cette perspective, il faut par exemple, prendre très au sérieux l'obligation formellement imposée au juge par le CIC 1676 de favoriser et de rechercher activement la possible convalidation du mariage et la réconciliation. Naturellement la même attitude de soutien apporté au mariage et à la famille doit régner avant le recours aux tribunaux: dans l'assistance pastorale, les consciences doivent être patiemment éclairées par la vérité sur le devoir transcendant de la fidélité, présentée d'une manière favorable et attractive. Dans l'effort pour surmonter de manière positive des conflits conjugaux et dans l'aide apportée aux fidèles en situation matrimoniale irrégulière, il faut créer une synergie qui implique toutes les personnes dans l'Eglise: les pasteurs d'âmes, les juristes, les experts en sciences psychologiques et psychiatriques, les autres fidèles, et tout particulièrement ceux qui sont mariés et qui ont une expérience de la vie conjugale. Tous doivent être bien conscients qu'ils se trouvent devant une réalité sacrée et face à une question qui touche au salut des âmes.
8 .- L'importance de la sacramentalité du mariage et la nécessité de la foi pour connaître et vivre pleinement cette dimension, pourraient aussi donner lieu à certaines équivoques soit au moment de l'admission au mariage, soit au moment du jugement sur sa validité. L'Eglise ne refuse pas la célébration du mariage à celui qui est bien disposé (bene dispositus), même s'il est imparfaitement préparé du point de vue surnaturel, pourvu qu'il ait l'intention droite de se marier, selon la réalité naturelle de la conjugalité. On ne peut en effet se représenter, à côté du mariage naturel, un autre modèle de mariage chrétien avec des exigences surnaturelles spécifiques.
Cette vérité ne doit pas être oubliée au moment de délimiter l'exclusion de la sacramentalité (CIC 1101,2) et l'erreur déterminante quant à la dignité sacramentelle CIC 1099 comme d'éventuels chefs de nullité. Dans les deux cas, il est décisif de bien garder à l'esprit que l'attitude des personnes qui se marient et qui ne tient pas compte de la dimension surnaturelle dans le mariage ne peut rendre nul que si elle entame sa validité au plan naturel dans laquelle se situe le signe sacramentel lui-même. L'Eglise catholique a toujours reconnu les mariages entre les non baptisés, qui deviennent un sacrement chrétien par le baptême des conjoints, et elle n'a aucun doute quant à la validité du mariage d'un catholique avec une personne non baptisée s'il est célébré avec la dispense nécessaire.
Au terme de cette rencontre, ma pensée va aux époux et aux familles, pour invoquer sur ceux-ci la protection de la Vierge. En cette occasion également, il m'est cher de proposer une nouvelle fois l'exhortation que je leur ai adressée dans ma lettre apostolique 'Rosarium Virginis Mariae': "La famille qui est unie dans la prière demeure unie. Par tradition ancienne, le saint Rosaire se prête tout spécialement à être une prière dans laquelle la famille se retrouve" (RVM 41).
Chers prélats auditeurs, officiers et avocats de la Rote romaine, je vous accorde à tous, affectueusement, ma Bénédiction !
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