Vademecum des droits des religieux et religieuses
de Conférence des Religieux et Religieuses de France (CORREF)
Date de publication : 24/11/2023

Texte original

Texte Français

CORREF




Vademecum des droits des religieux et religieuses


Exposé des motifs



A la suite des abus constatés dans l’Eglise et du rapport de la CIASE, l’Assemblée générale intermédiaire de la CORREF d’avril 2023 a voté la recommandation n° 92 suivante : « Nous encourageons l’élaboration d’une charte des Droits des religieux et religieuses et qu’elle soit portée à la connaissance de toutes et de tous. »

La vie religieuse est un appel et un don du Seigneur qui a dit « Je suis le Chemin, la Vérité et la Vie » (cf. Jn 14, 4). Elle est aussi une réponse généreuse à suivre le Christ, à renoncer à soi, prendre sa croix et tout quitter pour le Royaume (cf. Mt 16, 24 ; 19, 12 ; 19, 16-21 ; 19, 27-29 ; …). C’est pour servir la croissance saine de cette vocation que chaque institut, selon sa tradition propre, doit continuer à développer et enseigner une authentique théologie de la vie religieuse : ce que sont les vœux comme promesse faite à Dieu, ce que sont l’authentique chasteté, la pauvreté et l’obéissance garantes d’une véritable altérité dans les relations, ce que sont la conscience morale et le bien commun et sa recherche communautaire, l’articulation entre droit objectif et subjectif etc. Mais cela ne saurait supprimer, au contraire, le nécessaire rappel du droit dont le but est de protéger chacun. C’est l’objet de ce Vademecum. Théologie et droit ne sont-ils pas comme les deux ailes nécessaires à l’accomplissement sain de la visée de la vie religieuse, à savoir la conformation au Christ (1) ?

De fait, le religieux, la religieuse (2) s’engage, librement et au terme de toute une démarche de discernement, par des vœux, à conformer toute sa vie à la suite du Christ, en observant les trois conseils évangéliques de pauvreté, de chasteté et d’obéissance (3), selon le droit propre de chaque institut. Voilà qui suppose immanquablement le renoncement à une série de liens qui pourraient être un obstacle à cette sequela Christi. Par cette voie, le religieux « se consacre » à Dieu : le laïc qu’il était change ainsi volontairement et librement d’état canonique (4). Les vœux prononcés sont, pour le consacré, autant de défis à relever afin de découvrir un vrai chemin de liberté par la mise en application de valeurs prophétiques qui, au total, sont profondément humaines (5).

En pratique, l’entrée dans la vie consacrée ne suppose pas l’abandon de tous ses droits par celui ou celle qui s’engage en cette voie. La vie religieuse n’est pas un système totalitaire, sauf alors à devenir source de tous les abus, spirituels et d’autorité, d’emprise voire d’agressions sexuelles. « Or des épisodes et des situations de manipulation de la liberté et de la dignité des personnes n’ont pas manqué ces dernières années – et en particulier dans les instituts de fondation récente (6). »

Afin d’élaborer un Vademecum des droits des droits des religieux et religieuses, la Présidente de la CORREF a confié une mission à un petit groupe de spécialistes, lequel a procédé à des auditions de hauts magistrats et d’un professeur de droit. Le travail est principalement fondé sur le droit canonique, mais il a aussi pris en compte certaines règles du droit français voire européen.

Dans cet esprit, a pu être élaboré le Vademecum ci-après qui repère et nomme les droits fondamentaux des religieux et religieuses. Jamais, une liste spécifique n’en avait été établie, alors que le Code de droit canonique de 1983 contient un titre entier (7) consacré aux Obligations et Droits de tous les fidèles. – de tous, y compris donc des religieux et des religieuses ; alors également que les Déclarations posées par la France et les organisations internationales (8) proclament des droits qui sont pour certains dits « naturels, inaliénables et sacrés » et que leur protection est sanctionnée par les tribunaux. La problématique est délicate. Elle réside dans l’articulation entre les droits fondamentaux et les vœux.

En effet, les vœux représentent :

  • soit l’abandon d’un droit subjectif,

  • soit la renonciation plus ou moins large à l’exercice d’un droit,

  • et ce, par l’acceptation corrélative de devoirs ou d’obligations.

Selon le Code de droit canonique, le vœu est « la promesse délibérée et libre, faite à Dieu, d’un bien possible et meilleur… au titre de la vertu de religion » (9) ; il traduit la volonté expresse d’une personne de se dépouiller d’une prérogative ou d’en rétrécir le périmètre, se plaçant ainsi - volontairement et dans une certaine mesure - à l’écart de sa famille et de la société (10), alors qu’elle pourrait agir autrement.

  • Or certains droits sont indisponibles, c’est-à-dire que leurs titulaires ne peuvent y renoncer - ni unilatéralement, ni par voie de contrat. Malgré la réticence des tribunaux à établir une hiérarchie des droits entre eux, on peut cependant proposer une liste de ces droits fondamentaux parmi lesquels le droit à la vie, le respect de la dignité humaine, les libertés de pensée, de conscience et de religion, la liberté d’expression, le droit à une protection sociale… Leur reconnaissance est de droit naturel, leur préservation conforme au respect dû à la nature de l’homme.

  • Les autres droits, plus nombreux, peuvent, quant à eux, faire l’objet de renoncements voire d’abandon. On peut invoquer un droit subjectif supérieur pour renoncer à l’exercice de certains autres, par exemple à : la vie privée et familiale, la liberté d’aller et de venir, le libre choix du domicile, celui d’une activité professionnelle, la liberté d’association, syndicale ou de réunion, le droit au patronyme ou celui de propriété…

La question devient alors : dans quelle mesure a-ton le droit de renoncer, peu ou prou, à ses droits ? Par exemple le vœu d’obéissance peut-il altérer la liberté de conscience ? Le vœu de pauvreté entraver totalement le droit de propriété ? Ou encore empêcher la demande d’une aide financière lors d’une sortie de l’institut ? Tout doit être examiné au cas par cas, au plus près des règles canoniques, du droit universel comme du droit propre des congrégations, mais aussi du droit français voire européen. En précisant, dès à présent, que cette renonciation personnelle doit être vraiment libre pour produire ses effets, tant en droit canonique que civil (11).

La reconnaissance de ces droits pour chaque religieux ou religieuse a pour corollaire fondamental des devoirs de la congrégation dans laquelle et pour laquelle il a choisi de vivre ; droits et obligations se correspondent et leur exercice se conjuguera avec loyauté, dans la bonne foi et la confiance partagée. Le bien commun exige, en tout cas, que la congrégation, dans l’intérêt même de sa mission, permette à chacune, à chacun le libre et plein développement de sa personnalité (12).


Pour télécharger le Vademecum complet :



Site internet de la Conférence des Religieux et Religieuses de France (CORREF) :

https://www.viereligieuse.fr/


_______________________


(1) Cf. Jean-Paul II, Exhortation apostolique Vita consecrata, 1996, n° 30.,

(2) Dans ce Vademecum, tout ce qui concerne le religieux s’applique aussi à la religieuse, même si parfois - dans un souci d’allègement - nous retenons le seul terme générique de « religieux. »

(3) Voir les cann. 599, 600 et 601 qui précisent les obligations correspondant à chaque vœu.

(4) Can. 207 § 2.

(5) Sur ce point, Vita consecrata, op. cit., n° 87.

(6) Congrégation pour les Instituts de vie consacrée et les Instituts de vie apostolique (CIVCSVA), A vin nouveau, outres neuves. Depuis le Concile Vatican II, la vie consacrée et les défis encore ouverts. Orientations, 2017 n° 20.

(7) Titre I de la 1ère partie du Livre II du Code sur Le Peuple de Dieu (cann. 204 à 224). Ces canons, qui sont d’un rang supérieur, font partie d’un véritable droit constitutionnel de l’Eglise.

(8) Parmi ces textes, on retiendra la Déclaration française des droits de l’homme et du citoyen de 1789, le Préambule (toujours en vigueur) de la Constitution de 1946, la Déclaration universelle des droits de l’homme de 1948, la Convention européenne des droits de l’homme de 1950, enfin la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne du 7 décembre 2000.

(9) Can. 1191 § 1.

(10) Cf. Jean-Claude LAVIGNE, Pour qu’ils aient la vie en abondance, Cerf 2010 : le chapitre XI est intitulé L’écart des vœux.

(11) Le can. 219 préserve le « droit de n’être soumis à aucune contrainte dans le choix d’un état de vie. » Toute situation contraire entraînerait la nullité du vœu.

(12) Inversement, selon l’art. 29 de la Déclaration universelle des droits de l’homme : « L’individu a des devoirs envers la communauté dans laquelle seule le libre et plein développement de sa personnalité est possible. »