Pourquoi un droit dans l’Église ?
16 mai 2018
L’Église catholique à travers son enseignement théologique et les activités caritatives et sociales qu’elle déploie, se veut promoteur de justice. Le pape Paul VI pouvait affirmer à la tribune de l’ONU en 1965 que l’Église était « experte en humanité ». Une telle affirmation nourrie de l’histoire bimillénaire de la foi chrétienne n’aurait pas la même résonnance si la promotion de la justice dans les Nations n’était pas recherchée aussi par l’Église pour elle-même dans sa vie institutionnelle. C’est l’une des raisons incontournables de la présence du droit dans l’Église : assurer la justice en son sein pour que ce que la foi annonce à tous, soit aussi vécu dans la Communauté des croyants. Pas d’annonce de la foi crédible sans recherche véritable de la justice hors et dans l’Église. Une telle affirmation ne va pas toujours de soi et pourtant elle doit être un impératif de la réflexion ecclésiale. Elle prémunit de toute spiritualisation hasardeuse.
Cette présence du droit dans la Communauté croyante n’est pas seulement cohérente avec le message évangélique qui doit être vécu et annoncé en toute justice hors et dans la société ecclésiale. Elle est aussi cohérente avec la nature même de cette Église des Saints. Souvent l’on a enseigné que le droit n’était de l’Église que parce que l’Église était aussi une société humaine, une République chrétienne, renvoyant la justification de sa présence à la philosophie politique, et qu’à ce titre l’Église par nature spirituelle était normalement étrangère au droit. En opposition à cette manière de voir, il faut affirmer que la présence du droit est aussi une nécessité ecclésiologique, car loin de se confondre seulement avec la norme d’une société humaine – ce que l’Église est aussi –, le droit, art du juste, rencontre la nature spirituelle de l’institution comme un jaillissement nécessaire de la Révélation. En effet lorsque le Christ envoie les disciples en mission, il institue un droit : celui d’entendre l’annonce de l’Évangile ; et un devoir : celui d’annoncer l’Évangile. Cette annonce porte en elle encore un autre droit : le droit de recevoir le baptême ; et un autre devoir : celui de conférer le baptême. Autrement dit, de la Parole, des sacrements et de l’action de l’Esprit surgissent des droits et des devoirs ou bien encore des devoirs et des droits, et en conséquence un art du juste, que l’Autorité ecclésiale comprise comme succession apostolique, régule pour qu’à chaque époque la mission prophétique de l’Église soit vécue et annoncée en toute justice auprès des hommes et des femmes, hors et dans l’Église, pour que le dépôt de la foi soit transmis comme il se doit.
L’art du juste est ainsi un élément essentiel et une méthode indispensable au service de l’Église, Communauté de foi en quête de Dieu et en quête de sainteté. Avec le droit canonique, il est possible de réguler justement l’autorité sacrée des pasteurs ; avec le droit canonique, il est possible de prévenir ou de guérir les communautés d’éventuelles dérives sectaires ; avec le droit canonique, il est possible d’accompagner la foi des fidèles en leur ouvrant de nouveaux chemins pour marcher vers Dieu ; avec le droit canonique, il est possible d’offrir aux autres droits un espace de réflexion et de recherche, loin des fermetures d’un positivisme juridique étroit. En effet, l’Église rejoint par son expérience juridique la profondeur de l’humanité en marche vers Dieu, et par là-même elle rejoint la joie de l’Évangile. Le droit ici n’est plus l’application d’une norme froide et d’une justice aveugle, mais la recherche d’un juste, expression de l’équité, non pas d’un juste issu de principes premiers intangibles, mais d’un juste à la recherche d’un bien à poursuivre, venant de Dieu et allant vers Dieu. Ici le verset d’Isaïe, peut être programmatique pour tout canoniste, s’il est vécu de manière réelle et non pas idéaliste : « Il ne brisera pas le roseau qui fléchit, il n’éteindra pas la mèche qui faiblit, il proclamera le droit en vérité. Il ne faiblira pas, il ne fléchira pas, jusqu’à ce qu’il établisse le droit sur la terre, et que les îles lointaines aspirent à recevoir ses lois ».
Cette recherche du juste toujours en mouvement fait du droit canonique un droit non point dogmatique, mais un droit plastique, ce qui explique qu’au cours des siècles nombreuses ont été les évolutions de la norme pour répondre toujours mieux avec fidélité à la transmission de la foi dans une époque donnée, depuis le Corpus Iuris Canonici médiéval jusqu’au Code de Droit Canonique de 1983 et le Code des Canons des Églises orientales de 1990 en passant par le Code de Droit Canonique de 1917. Ainsi Fedele, canoniste italien, pouvait écrire en 1962 dans l’esprit du droit canonique :
A qui considère sur quels principes immuables et éternels le droit canonique se dresse et en quels filons inépuisable il pousse ses racines profondes, le système juridique de l’Eglise apparaîtra, parmi tous les système comme le plus statique, immobile et inflexible, le plus résistant aux vicissitudes politiques, économiques et sociales dont est faite l’histoire humaine, le moins sensible aux particularités […].En revanche, à qui considère quelle imposante diversité de gens il embrasse, et à travers quelle riche diversité d’époques historiques s’étend sa vie séculaire, le droit canonique apparaîtra, parmi tous les systèmes juridiques, comme le plus dynamique, changeant et élastique, le plus adhérent aux cas particuliers de la vie individuelle et sociale.
M. l'abbé Ludovic DANTO,
Doyen de la Faculté de Droit canonique
de l'Institut Catholique de Paris