Questions autour de l'affectation cultuelle (1)
02 avril 2021
Questions autour de l'affectation cultuelle (1)
Le thème de l’affectation cultuelle a été abordée précédement. Sur ce même thème, nous traitons cette fois-ci de questions concrètes, parfois récurrentes, qui proviennent de différentes sources, principalement de situations rencontrées en paroisse. Si d’autres questions se posent sur le même sujet, mais non traitées dans la présente, merci de nous les faire parvenir, en vue d’une éventuelle publication ultérieure.
Merci à Nicolas Tafoiry pour sa relecture experte et attentive des lignes qui suivent.
1.- La mairie d’une commune propriétaire d’une église affectée au culte a-t-elle le droit d’utiliser l’édifice de son propre chef pour y organiser une manifestation culturelle ?
Notre réponse
Cette question revient fréquemment. Parfois, l’élu municipal (maire, adjoint, conseiller municipal) croit que le simple fait que la commune possède l’édifice lui donne le droit de l’utiliser librement. De son côté, l’affectataire ou son délégué n’est pas toujours au fait des questions juridiques en la matière. Il est donc nécessaire de faire le point.
S’il s’agit de la France dite « de l’intérieur (1) », la commune possède la propriété de l’église, mais elle n’en possède pas la jouissance. C’est ce que signifie l’expression d’affectation cultuelle, issue de la séparation des Églises et de l’État (loi du 9 décembre 1905 et dispositions légales et règlementaires qui en découlent). L’affectation cultuelle consiste en une mise à disposition permanente, exclusive et gratuite de l’édifice ainsi que des meubles le garnissant (2) pour l’exercice d’un culte déterminé. « Par ailleurs, le conseil d’État a jugé que ”la loi du 9 décembre 1905 n’a pas rendu aux communes le droit de disposer des églises dont elles sont propriétaires” (Conseil d’État, 1er mars 1912, commune de Saint-Dézéry) (3). »
Il s’ensuit que quiconque, fût-ce la mairie de la commune, doit obtenir l’autorisation expresse de l’affectataire (le curé ou son délégué) pour organiser, dans l’édifice concerné, une manifestation non cultuelle. Une telle autorisation demeure ponctuelle et propre à chaque manifestation, comme le souligne la Conférence des évêques de France : « Pour éviter tout détournement de la destination première de l’église, il n’y aura pas d’autorisation de manifestations qui empêcheraient l’exercice normal du culte (par exemple, pour un cycle de concerts, avec répétitions, exécutions et installations techniques durables) (4). »
L’affectataire doit de son côté s’assurer du respect de certaines règles (5) (droit public français, assurances, sécurité de l’édifice, mais aussi droit ecclésial relatif au caractère sacré de l’édifice et au respect de la religion, tout cela nécessitant notamment la communication à l’affectataire du programme prévisionnel des œuvres jouées – s’il s’agit d’un concert – ou exposées – s’il s’agit d’une exposition).
Qu’il s’agisse d’une utilisation de l’édifice à l’initiative de la mairie ou à la demande d’un organisateur de manifestations culturelles en vue d’un concert, d’une représentation théâtrale, d’une exposition, nous nous trouvons quelquefois en présence de situations difficiles, parfois même conflictuelles, dont l’un des paramètres consiste en une connaissance toute relative du droit public en matière d’affectation, ou en certaines erreurs dans l’interprétation des normes juridiques, non seulement du côté de l’organisateur d’une manifestation, mais encore du côté de l’affectataire, ainsi que du côté du propriétaire de l’église. Les situations rencontrées doivent, quoiqu’il en soit, être l’occasion d’un dialogue constructif. Dans cet esprit, la Conférence des évêques de France recommande d’agir avec diplomatie, en n’oubliant pas en particulier que la conservation et l’entretien des églises communales constituent une part importante du budget d’une commune. La « volonté réciproque de coopérer reste le meilleur garant de notre commun attachement à des lieux édifiés pour la gloire de Dieu et l’accueil de tous les hommes et de toutes les femmes de bonne volonté (6). »
2.- A-t-on le droit d’organiser un concert payant dans une église communale affectée au culte ? Si oui, la paroisse peut-elle exiger un pourcentage de la recette ?
Notre réponse
Que le concert soit payant ou non, son organisation dans une église affectée est toujours subordonnée à l’accord exprès de l’affectataire (en général, le curé de la paroisse). Ce principe étant posé, reste la question de l’assistance au concert moyennant une somme d’argent, combinée avec celle du principe de l’accès gratuit à l’édifice.
D’apparence simple, cette question est en réalité délicate. D’un côté en effet, l’accès au lieu de culte des fidèles et autres personnes désireuses de s’y recueillir doit demeurer libre (c’est pour l’Église un principe fondamental). Mais, d’un autre côté, il n’est pas en soi scandaleux de payer pour assister à une manifestation culturelle : son organisation engendre des frais ; aussi, du point de vue des droits sociaux, les auteurs des œuvres et autres artistes doivent pouvoir recevoir une juste rétribution (7) Le principe de l’accès libre à l’église est-il alors compatible avec ces impératifs financiers ? La question est à poser au cas par cas, en examinant l’ensemble des paramètres. Au minimum, il paraît normal que la paroisse, qui supporte les factures de chauffage, d’électricité et autres, puisse rentrer dans ses frais, surtout si l’entrée du concert est payante (billetterie). Il convient sur ce point de s’accorder avec l’organisateur, en amont de l’autorisation délivrée par l’affectataire, pour une juste participation aux frais de la paroisse (8) Cela doit être clairement mis par écrit.
3.- Entre le maire de la commune propriétaire d’une église affectée et le curé affectataire, quelle peut être la place d’une association de sauvegarde de l’édifice ?
Notre réponse
De très nombreuses associations ont été créées en France pour sauvegarder le patrimoine, estimé parfois en péril. Il ne s’agit pas que de lieux de cultes. Est concernée une grande partie des édifices, publics comme privés, témoins de l’histoire de notre pays, châteaux par exemple. De telles associations sont souvent très actives et témoignent d’une volonté non seulement d’entretenir le bâti mais, à travers lui, de maintenir vivante une histoire. Les objectifs de ces associations sont généralement de recueillir des fonds pour faciliter la conservation ou la restauration du patrimoine.
Lorsqu’il s’agit d’un édifice affecté au culte, il faut combiner l’objet de l’association de sauvegarde et les règles spécifiques au type de lieu, utilisé par une communauté pratiquante, et qui n’est donc pas un lieu sans vie.
Si l’association de sauvegarde ayant pour objet de faire connaître l’édifice pour lequel elle œuvre et de recueillir des fonds destinés à la conservation et à la restauration d’une église affectée, il est logique que la mairie soit son premier interlocuteur. Si l’association a besoin d’organiser dans l’église des événements pour poursuivre son objet, alors elle doit aussi être en contact avec l’affectataire. Idéalement, il conviendrait qu’il y ait une sorte de relation triangulaire, au moins d’information réciproque, entre l’affectataire (curé), le propriétaire (maire), et le responsable de l’association, afin de traiter de la manière la plus constructive possible chacun des dossiers.
Rappelons qu’une association de sauvegarde ne possède pas par elle-même de pouvoir sur l’édifice ou sur son utilisation, et donc qu’elle ne dispose pas librement des clés de l’église, qui demeurent sous la responsabilité de l’affectataire (et de la mairie sur quelques points relatifs à la sécurité).
4.- Quel est le rôle de la Commission diocésaine d’art sacré en matière d’églises affectées ?
Notre réponse
Les Commissions diocésaines d’art sacré ont été instituées par le Concile Vatican II et ne sont pas propres à la France : « […] on établira […] dans chaque diocèse, autant que possible, des Commissions de musique sacrée et d’art sacré (9). » Dans chaque diocèse, la Commission d’art sacré est mise en place concrètement (nommée) par décision de l’évêque du diocèse, qui en est le seul membre de droit. S’agissant d’un organisme de gouvernement du diocèse, son champ de compétence s’étend à tous les lieux de culte catholiques, qu’il s’agisse ou non d’églises placées sous le régime français de l’affectation légale.
La Commission diocésaine d’art sacré intervient à titre consultatif sur des questions d’aménagement ou de transformation de l’espace liturgique (cette notion étant très large), veille au patrimoine sacré (10) contenu dans les édifices du culte, soutient la création artistique en matière d’art sacré en général, intervient lorsqu’il y a projet de construction d’un nouveau lieu de culte, etc.
Dans le contexte français de séparation des Églises et de l’État, la commission diocésaine d’art sacré peut travailler en lien étroit avec les services de l’État et les communes propriétaires de tels ou tels édifices affectés. Sa mission de conseil est primordiale. Il est bon à ce titre de la consulter avant toute intervention importante sur le lieu. Concernant plus spécialement les églises communales affectées au culte catholique, la commission diocésaine peut être l’un des interlocuteurs privilégiés des différents partenaires.
Par exemple, le diocèse de Sens et Auxerre a édité en septembre 2019 un dépliant de présentation de la Commission diocésaine d’art sacré, disponible à l’accueil de la Maison diocésaine à Auxerre.
5.- Dans une église communale affectée, un lustre s’est décroché de la voûte et s’est écrasé au sol en-dehors de toute célébration ; les dégâts sont seulement matériels. La responsabilité de l’affectataire est-elle engagée ?
Notre réponse
En l’espèce, il n’y a de dégâts que matériels. La responsabilité civile sera donc déterminée d’abord à partir de la cause, ou des causes, de l’événement. D’une manière générale, l’incident est a priori lié à l’édifice lui-même. Les causes matérielles peuvent être de différente nature : usure du bâtiment, défaut d’entretien, vice de fabrication… Ce sont alors les assurances de la commune propriétaire qui prendront en charge les éventuels travaux.
Dans la théorie, la responsabilité civile extracontractuelle de l’affectataire pourrait éventuellement se trouver engagée au cas où ledit affectataire (ou un subordonné) aurait agi de telle sorte que son action provoque, directement ou indirectement, la chute du lustre. Dans ce cas, l’expert dépêché par l’assureur visera à établir la relation de cause à effet entre l’éventuelle action et la chute de l’objet, afin de déterminer qui doit assumer la responsabilité civile afférente et enclencher l’intervention des assureurs. Mais dans la pratique, il y a fort peu de chance que pareille procédure soit engagée, car les ministres affectataires « n’ont pas d’obligation de sécurité qui tendrait à les assimiler à l’exploitant d’un lieu ouvert au public ou à une collectivité publique administrant un bien du domaine public (11). »
6.- L’écroulement d’une église communale affectée au culte entraîne-t-il sa désaffectation ?
Notre réponse
La loi de du 5 décembre 1905 concernant la séparation des Églises et de l’État détermine l’affectation cultuelle comme exclusive et perpétuelle. Il en résulte que si aucune désaffectation légale n’avait été prononcée avant l’écroulement de l’édifice, l’affectation survit à l’édifice écroulé et peut être transférée à un nouvel édifice reconstruit à sa place. Ou, pour faire bref : la liberté de culte dont jouit la communauté paroissiale ne peut pas s’éteindre au motif que le lieu où elle se rassemblait naturellement n’existe plus. En droit, l’affectation légale est liée non seulement à l’édifice, mais aussi à son usage, donc à l’existence d’une communauté qui s’y rassemble ; et surtout : la communauté de personnes prime sur le bâtiment.
Sur le fond, la raison d’être de cette survie de l’affectation légale réside dans la nature même de cette dernière, comme moyen d’application du principe du libre exercice des cultes, qui en droit français est un droit constitutionnel et une liberté fondamentale. Autrement dit, le droit d’affectation est fondé sur la liberté de culte avant d’être attachée à l’édifice. Ainsi, selon la jurisprudence du Conseil d’État, « en cas de reconstruction d’un édifice endommagé ou détruit, le nouvel édifice hérite de droit de l’affectation de celui qu’il remplace par le jeu d’une subrogation réelle (12) » ; « En cas de reconstitution des biens détruits, l’affectation légale est transférée de plein droit sur les nouveaux biens ; la commune propriétaire ne peut faire obstacle au respect des règles relevant du libre exercice des cultes (13) » ; « Lorsqu’un édifice est reconstruit, il ne cesse pas d’être légalement affecté au culte (14) ».
P. Hugues Guinot
Chancelier de l'Archidiocèse de Sens-Auxerre
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(1) C’est-à-dire la partie du territoire français placée sous le régime légal de la séparation des Églises et de l’État.
(2) Cf. Loi du 9 décembre 1905 concernant la séparation des Églises et de l’État, art. 13 ; loi du 2 janvier 1907 concernant l’exercice public des cultes, art. 5.
(3) Laïcité et liberté religieuse. Recueil de textes et de jurisprudence, Paris, Les éditions des Journaux officiels, 2011, p. 191.
(4) Secrétariat Général de la Conférence des Évêques de France et Comité national d’art sacré, Les églises communales. Guide pratique des édifices affectés au culte catholique, construits avant 1905, propriétés des communes, Paris, Cerf, 1995, p 28, n° 7, al. 2.
(5) Ibid., p. 27, N° 6, al. 1 ; pour le diocèse de Sens et Auxerre, cf. Règlement diocésain pour l’utilisation d’une église, Auxerre, 21 octobre 2016, et formulaire annexé.
(6) Secrétariat Général de la Conférence des Évêques de France et Comité national d’art sacré, Les églises communales. Guide pratique des édifices affectés au culte catholique, construits avant 1905, propriétés des communes, op. cit., p. 9.
(7) Cf. Conseil pontifical justice et paix, Compendium de la doctrine sociale de l’Église, Paris, Bayard / Cerf / Fleurus-Mame, 2005, n° 301, p. 171.
(8) Cf. Secrétariat Général de la Conférence des Évêques de France et Comité national d’art sacré, Les églises communales. Guide pratique des édifices affectés au culte catholique, construits avant 1905, propriétés des communes, op. cit., p 28, n° 8, al. 3 ; Règlement diocésain pour l’utilisation d’une église, op. cit., art. 6.
(9) Concile œcuménique Vatican II, Constitution Sacrosanctum concilium sur la sainte liturgie, 4 décembre 1963, n° 46.
(10) « Pour juger les œuvres d’art, les Ordinaires des lieux entendront la Commission diocésaine d’art sacré […] » (ibid., n° 126).
(11) Ministère de l’intérieur, de l’outre-mer, des collectivités territoriales et de l’immigration, Circulaire du 29 juillet 2011 relative aux édifices du culte, n° 6.1, al. 8.
(12) Francis Messner, Pierre-Henri Prélot et Jean-Marie Woehrling, Droit français des religions, 2ème édition, Paris, LexisNexis, 2013 , p. 1477.
(13) Secrétariat Général de la Conférence des Évêques de France et Comité national d’art sacré, Les églises communales. Guide pratique des édifices affectés au culte catholique, construits avant 1905, propriétés des communes, nouvelle édition, Paris, Cerf, 2005, p. 1031.
(14) Xavier Delsol, Alain Garay et Emmanuel Tawil, Droit des cultes. Personnes, activités et structures, Dalloz / Juris associations, 2005, p. 245 ; cf. aussi : Nicolas Deiller, Le régime juridique des biens cultuels. Vers une nouvelle approche du droit des cultes en France ?, thèse présentée et soutenue publiquement pour l’obtention du grade de Docteur de l’Université de Bourgogne – Franche-Comté, discipline : Droit Public, le 21 novembre 2018, p. 62-63, https://tel.archives-ouvertes.fr/tel-02148466/document [page consultée le 21 mars 2020].