Retour sur le colloque "L'Etat confronté au pluralisme religieux" (20 nov. 2018)

28 novembre 2018

Le 20 novembre 2018, s’est tenu à l’Institut Catholique de Paris un colloque dont la problématique était : quelle approche d’une épistémologie concordataire entre l’État d’une part et l’Église catholique, les autres églises chrétiennes (protestantes, orthodoxe), et l’islam d’autre part ? Il s'agissait de réfléchir aux paradigmes classiques de la pratique concordataire, qui ont marqué les relations entre le spirituel et le politique, puis de les mettre en question, dans le contexte actuel de pluralisme religieux, pour se rendre compte de leur impact, non seulement sur la liberté religieuse confessionnelle, mais aussi sur les droits subjectifs de l’être humain.

Les premières réflexions ont porté sur le reddite caesari (1) où était exposée puis interrogée la qualité de la relation Église-État, à partir de trois traditions confessionnelles chrétiennes. Du point de vue de la catholicité, l’épistémologie concordataire s’est manifestée à travers une véritable alliance entre deux souverainetés, spirituelle et temporelle, et cela au sortir de l’ère constantinienne (2). Cela a conduit à une certaine confusion entre la civilisation occidentale et la civilisation de l’Église. Dans l’orthodoxie, au seuil de la séparation (1054) avec l’Occident, c’est la symphonie byzantine qui a prévalu, marquée par une harmonisation entre sacerdoce et royauté en tant que dons divins. Après la chute de l’Empire byzantin (1453), l’ecclésiologie de l’autocéphalie était privilégiée là où régnait une certaine entente entre le politique et le religieux, entente qui pouvait aboutir à des accords (cf. le Régime de Millet dans l’Empire ottoman). S’agissant de la Réforme, deux évolutions, l’une synchronique et l’autre diachronique, sont à signaler, relatives à la pluralité ecclésiale face aux politiques. Le lien entre l’État et les Églises protestantes dépend de la qualité des relations qu’ils entretiennent réciproquement. Toutefois, l’Église doit reconnaître sa faillibilité, tout comme les pouvoirs étatiques. C’est pourquoi la réforme magistérielle était envisagée comme solution.

Du point de vue de l’islam, la relation entre pouvoir spirituel et pouvoir temporel est marquée par la nationalisation de l’autorité religieuse. Ou bien c’est le Prince qui gère et garantit le fonctionnement du spirituel (Turquie, Maroc), ou alors c’est l’Imam ou le Mufti qui assujettit le pouvoir temporel au pouvoir spirituel (Iran). La foi musulmane est un enjeu national, étatique, culturel et géostratégique. Mais de nos jours, cette foi est confrontée au pluralisme religieux, à la fois ad intra, marqué par une certaine radicalité confessionnelle, et également ad extra, favorisé par la mobilité internationale des croyants d’autres confessions religieuses. Certains adoptent une politique de tolérance, qui aboutit à des ententes ou accords avec des minorités religieuses (Emirats Arabes Unies, Maroc), mais qui n'en questionne pas moins l’épistémologie concordataire classique. Quelles sont les évolutions de la pratique du concordat au sein des pays de l’UE ?

Dans les pays de la communauté européenne, même si le principe de laïcité est proclamé, la présence des nouvelles religions pousse cependant certains États à réguler, par le biais d’accords, la pratique religieuse sous un modèle de do ut des distincts des concordats traditionnels avec les anciennes confessions religieuses (3). Avec la reconnaissance des libertés et droits individuels du citoyen, le rapport entre État et citoyen-croyant est sujet de contentieux, soit entre l’État et un individu, soit entre ce dernier et sa communauté de croyants, avec des recours jusqu’à la CEDH (4). Ceci interroge à la fois l’efficience juridique des Constitutions étatiques, mais aussi les traités à l’échelon européen et, en même temps, pose la question du devenir des concordats. Par le passé, au moyen d'une vaste activité diplomatique du Saint-Siège (5), les concordats ont été la forme solennelle d’entente de l’Église et de l’État (6). De nos jours, face au pluralisme religieux, il subit une certaine fluctuation terminologique qui implique la liberté de la pratique confessionnelle d’autres religions et ne se limite plus qu’à l’Église catholique représentée par le Saint-Siège (7).

Les diverses réflexions de ce colloque ont eu le mérite de poser la question de savoir si le pouvoir de l’État trouvait son fondement dans le pouvoir du Christ. Quelle est la légitimité de la responsabilité de l’État dans l’encadrement des pratiques religieuses ? Face à l’affirmation poussée de l’autonomie individuelle vis-à-vis de la communauté spirituelle ainsi qu’étatique, comment appréhender la pratique concordataire actuellement ? Les traités interétatiques relatifs aux libertés individuelles et aux droits fondamentaux de la personne humaine peuvent-ils prendre le dessus sur certains concordats ou accords inscrits dans les constitutions de certains pays de l’UE ? Que penser du principe de la souveraineté constitutionnelle face à certains contentieux dont le recours va jusqu’à la CEDH ? Au regard de la laïcité, qui suppose une séparation du politique et du religieux attestée par la non-confessionnalité de l’État, comment comprendre la volonté de régulation par le pouvoir politique de certaines religions ? Quel est le rapport foi-culture-politique dans l’épistémologie concordataire ? Comment prendre en compte, dans la pratique concordataire, le socio-politique, le socio-culturel et le socioreligieux à l’échelon de l’Union européenne à l’aube de ce troisième millénaire ? Telles sont quelques questions suscitées par ce Colloque qui mériteraient un approfondissement dans l’approche de l’épistémologie concordataire.


Frédéric Malingi Tongolo, 

Doctorant ICP/Paris Sud

Programme complet à retrouver en cliquant ici :


Une publication des actes est prévue et nous vous tiendrons informés.


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(1) Voir : Mc 12, 13-17 ; Mt 22, 21 ; Lc 20, 25.

(2) Le Concordat de Worms (1122) en est une des illustrations.

(3) Voir : Concordat de 1801 entre Napoléon et le Pape Pie VII.

(4) Voir : L’Arrêt définitif de la Grande chambre de la Cours européenne sur l’Affaire Fernandez-Martinez c. l’Espagne ((requête no 56030/07).

(5) Voir : BLET (Pierre), Histoire de la représentation diplomatique du Saint-Siège : des origines à l'aube du XIXe siècle, 2è éd. Città del Vaticano, Archivio Vaticano 1990, 537 p.

(6) Voir : MINNERATH (Roland), L’Église catholique face aux États. Deux siècles de pratique concordataire 1801-2010, Paris, Cerf, Collection : Droit canonique, Droit des relations internationales et la liberté religieuse et religion, 2012, 650 p ; L’Église et les États concordataires (1846-1981). La souveraineté spirituelle, préface de GAUDEMET (Jean), Paris, Cerf, 1983, 510 p.

(7) ONORIO (Joël-Benoît D’), Le Saint-Siège dans les relations internationales, Paris, Cujas et Cerf, Coll. Ethique et Société, 1989, 469 p.