Compte-rendu des journées de formation des Officialités (janvier 2020)

03 février 2020

Des doctorants de la Faculté vous propose un compte-rendu détaillé de la session de formation des personnels d'Officialités qui s'est tenue du 28 au 30 janvier 2020 à la Faculté de droit canonique de l'Institut Catholique de Paris (programme détaillé encore visible ici).


PREMIERE JOURNEE

mardi 28 janvier 2020



Ce mardi, 28 janvier 2020, dans la salle des actes de l’Institut catholique de Paris, se sont ouvert les travaux de la 25ème édition de la session permanente des personnels d’officialités de France, sous la présidence effective de S. E. Mgr Joseph de Metz-Noblat, évêque de Langres et président du Conseil pour les questions canoniques de la Conférence des Evêques de France.

La cérémonie d’ouverture a été ponctuée par trois principales allocutions : d’abord, le Doyen Ludovic Danto qui, dans son mot d’accueil, a mis l’accent sur le sens du 25ème anniversaire célébré en cette session : « 25 ans qui, dit-il, marquent la volonté de notre institution de servir par la formation ceux qui permettent à l’Eglise d’assurer la justice en son sein » ; S. E. Mgr Joseph de Metz-Noblat, dans son discours, a salué le précieux service rendu dans les officialités en précisant qu’il doit toujours manifester l’attention particulière de l’Eglise envers les personnes blessées par l’échec de leur mariage ; et enfin, le Père Bruno Gonçalves, chargé de l’organisation des colloques et journées d’études de la Faculté de droit canonique de l’ICP, a déroulé le programme général de la session en montrant non seulement la pertinence du choix des quatre thématiques retenues, mais aussi en indiquant les principales problématiques à traiter et leur actualité dans les tribunaux ecclésiastiques aujourd’hui.

Les travaux de ce premier jour de la session, placés sous la présidence de Mgr Alexander Leonhardt (official de Strasbourg) et axés autour du thème « Instruire une cause et rendre une sentence », ont fait l’objet de quatre conférences. Celles-ci traitaient tour à tour du rôle de l’évêque dans la procédure judiciaire aujourd’hui (1ère conférence), de la fonction du ponent dans le procès contentieux (2ème conférence) ; du statut et de la fonction de l’auditeur dans les procédures canoniques (3ème conférence) et enfin de la motivation des sentences (4ème conférence).

Dans son intervention, Mgr Denis Baudot, official du Tribunal Suprême de la Signature apostolique, a montré comment le motu proprio Mitis Iudex a suscité une réelle prise de conscience du rôle prépondérant que tient l’évêque diocésain (ou son équiparé) dans les procès canoniques. L’évêque exerce son pouvoir judiciaire sous deux principales modalités : d’une part, il peut juger directement, par lui-même, aussi bien dans les causes contentieuses que pénales, en tant que juge unique ou bien membre d’un tribunal collégial. Dérogeant aux prescriptions du canon 1425 CIC, Mitis Iudex prescrit à l’évêque diocésain d’être juge unique dans le processus brevior en s’adjoignant un seul assesseur (cf. c. 1683 CIC). D’autre part, l’évêque exerce son pouvoir judiciaire par un vicaire ou un délégué, selon le droit. Là encore, son rôle demeure prépondérant à travers l’exercice des prérogatives législatives et administratives que le droit attribue à l’évêque ou au modérateur du tribunal.

Mgr Jean-Jacques Boyer, official de Versailles et second conférencier du jour, a articulé son propos sur la fonction du ponent dans le procès contentieux en précisant au préalable les critères de sa désignation. Il revient au président de nommer librement le ponent parmi les juges du tribunal collégial (cf. c. 1429 CIC). Si le code attribue deux tâches essentielles au ponent, à savoir être rapporteur à la rencontre des juges et rédiger les sentences, l’instruction Dignitas connubii, en son art. 46, énumèrent de nombreuses autres tâches qui peuvent être commises au ponent dans les procès en nullité de mariage. Toutefois, l’art. 47 § 2 DC président les tâches absolument réservées au président ; et depuis Mitis Iudex, le nouveau c. 1676 restreint la possibilité de dévolution des tâches énumérées à l’art. 46 § 2, 7°-10 au président au premier degré de juridiction.

Dans l’après-midi, c’était au tour du Chanoine Benoit Merly, vice-official de Bordeaux, de traiter du statut de l’auditeur et des prérogatives dans les procès canoniques. L’auditeur y est essentiellement envisagé comme un auxiliaire de justice agissant dans les limites fixées par le juge qui l’a nommé.

Le dernier conférencier du jour, le Chanoine Emmanuel Petit, Président de la Faculté Notre Dame de Paris, a exploré l’épineuse question de la motivation des décisions judiciaires en droit canonique. Si au Moyen Age, le droit canonique opta de s’inscrire dans la tradition du droit romain qui n’obligeait pas le juge à motiver sa décision, à l’époque moderne l’obligation de motiver les sentences s’est progressivement affirmée et le code actuel dispose en son c. 1622, 2° qu’une sentence est entachée d’un vice de nullité remédiable si elle ne contient pas les motifs ou les raisons de la décision. Toutefois, il devient urgent aujourd’hui d’observer certaines règles de sobriété et de prudence dans la rédaction des décisions judiciaires canoniques qui, selon le droit, devraient être accessibles à toute personne y ayant intérêt.

                                                                                  

Clovis DOUANLA TANKEU

 

DEUXIEME JOURNEE

mercredi 29 janvier 2020


Matinée

La matinée de notre deuxième journée de session s’est déroulée autour du thème de la deuxième session « Secret, accès et communication des actes ». Deux conférences et un temps de questions ont marqués les travaux de cette matinée. Il s’agit notamment de la conférence de l’abbé  Joseph Domingo et de celle de l’abbé Cédric Burgun qui nous ont entretenu respectivement sur "La protection des données à l’officialité : protection de la confidentialité" et "Notification et dématérialisation informatique de la procédure".

La protection des données à l’officialité : protection de la confidentialité

En partant d’un contexte historique combien riche en événements, l’abbé Joseph Domingo a caractérisé la crise de l’Eglise comme une double crise : une crise morale et une crise institutionnelle. Face à cette crise l’enjeu de la confidentialité est également double : le bien de la personne et le bien de la communauté. En effet, le bien des victimes n’exclut pas le secret sacramentel ni le droit des personnes en cause (accusés).

Pour l’abbé Domingo, chaque étape du procès doit prendre en compte ce double enjeu. Pendant l’enquête préalable la bonne réputation doit être préservée (canon 1717 § 2). Ainsi les communiqués de presse doivent comporter des informations brèves, des faits objectifs, le soutien à la victime, la présomption d’innocence et la collaboration avec l’administration judiciaire. Par rapport à la publication des actes après avoir rappelé les principes du canon 1598 § 1, l’abbé Domingo a mis l’accent sur la confidentialité de l’expertise : seul l’expert peut lire le rapport au demandeur, et la personne soumise à l’expertise n’a pas à être informée des éléments de l’expertise pouvant porter préjudice à sa santé. En ce qui concerne la publication des sentences, toute personne ayant intérêt a droit à la sentence et la démission pénale de l’état clérical doit être publiée.

Pour finir ses propos l’abbé Domingo est revenu sur l’abolition du secret pontifical et la remise du dossier canonique à la juridiction civile. L’abolition du secret pontifical selon l’abbé Domingo ne change pas les règles de confidentialité. C’est seulement un changement de niveau de confidentialité ; la compétence passe de la Congrégation pour la doctrine de la foi aux évêques. Ces derniers n’ont plus à demander la levée de la confidentialité à la Congrégation romaine. En ce qui concerne la remise du dossier canonique, les pièces relevant du for interne n’ont pas à être transmis à la juridiction civile.

Notification et dématérialisation informatique de la procédure

L’abbé Cédric Burgun est parti du constat que l’on assiste aujourd’hui à une évolution des communications sociales due à l’évolution technologique. Cette évolution a des répercussions sur la justice. D’où les grandes réformes en cours dans la justice civile avec l’utilisation du numérique pour la création d’une nouvelle procédure numérique et la diffusion des décisions de justice.

Les officialités et les organes d’Eglise notamment les paroisses sont concernés par cette évolution technologique c’est pourquoi il est important qu’une certaine vigilance soit observée. Il faut avant tout que les directives de la RGPD soient observées par rapport à la collecte et à la protection des données personnelles. Ensuite, par rapport à l’utilisation du numérique il faut une grande vigilance pour la conservation et le partage des dossiers par mail.

S’agissant de la notification, l’abbé Cédric Burgun a rappelé les dispositions du canon 1509 pour signaler que la préférence pour le législateur canonique est la voie postale qui demeure le moyen le plus sûr. Ainsi un courrier électronique (mail) n’est pas en moyen sûr de notification car il ne facilite pas l’identification des interlocuteurs, ne garantit pas l’intégrité du document ni la confidentialité des échanges.

Temps de questions

 Les conférences ont été approfondies par un temps d’échanges autour de l’utilisation de l’expertise notamment sa citation dans la sentence ; les directives du RGPD et l’utilisation des moyens de communication tel que skype pour l’audition par les officialités.

 

Davy Ghislain BANGUE

 

Après-midi

Sous la présidence du professeur Astrid Kaptijn, Vice-Recteur émérite de l’Université de Fribourg, trois conférences successives ont été données par des enseignants de la Faculté de droit canonique autour de la même thématique de la sexualité et du consentement matrimonial envisagée à travers les cas particuliers du transsexualisme, de l’hermaphrodisme, de la bisexualité et de l’homosexualité.

La première intervention, du Doyen Ludovic Danto interroge le discernement et le devenir du mariage, dans le cas de transsexualisme ou d’hermaphrodisme. Sa démarche consiste à aborder la problématique en ses trois aspects : le phénomène, son traitement juridique et ses incidences sur la pratique pastorale. Le transsexualisme, différent de l’homosexualité, est un phénomène portant sur l’identité sexuelle, caractérisé par le rapport d’opposition entre l’identité psychologique du genre et le genre assigné à la naissance. L’hermaphrodisme, quant à lui, est la situation biologique d’une personne présentant en même temps les deux sexes : mâle et femelle. De nos jours, la jurisprudence sur le premier cas a évolué. Ces questions sont traitées sous l’angle de l’incapacité à assumer les obligations essentielles du mariage (canon 1095.3) ou par rapport à l’empêchement d’impuissance. Ces questions, assez mouvantes demandent, un discernement pastoral bienveillant.

La deuxième intervention assurée par l’abbé Albert Jacquemin, également Vice-Official de Paris, étudia le cas de la bisexualité et de la validité du mariage au regard du canon 1095. La bisexualité se présente comme une attirance sexuelle portée sur l’un ou l’autre sexe. Elle n’est jamais traitée pour elle-même dans les officialités comme chef de nullité, mais en fonction de ce qu’elle peut induire dans la qualité du consentement matrimoniale spécialement en considération du canon 1095.3.

La dernière intervention de l’abbé Christian Paponaud, également chargé d’enseignement au Studium de droit canonique de Lyon, étudie le traitement de l’homosexualité dans la jurisprudence. Selon l’intervenant, la compréhension du phénomène dans la société a été évolutive. D’abord considérée comme un délit ensuite compris comme une maladie, aujourd’hui l’homosexualité est abordée sous l’angle d’une attirance sexuelle envers les personnes de même sexe. Sa compatibilité avec le mariage tel que défini par l’Église comme alliance matrimoniale entre un homme et une femme (canon 1055.1) est en soi difficile à établir. De nos jours, dans les officialités, l’homosexualité n’est plus considérée, ni comme un cas d’impuissance, ni comme l’incapacité de discerner les obligations essentielles du mariage (canon 1095.2). Elle est traitée sous l’angle du canon 1095.3 avec les précisions requises quant aux obligations et leurs gravités, quant à la communion de vie et d’amour.

Dans tous les cas, comme dans la matinée, les intervenants de la soirée furent unanimes sur l’attitude prudentielle à adopter sur ces questions assez mouvantes d’identité, d’identification et d’attirance sexuelles. L’office du juge et du pasteur consiste à éviter les attitudes discriminatoires pour préférer une étude attentive sur les conséquences de ces réalités sur le discernement du mariage ou la capacité à assumer effectivement les obligations essentielles du mariage.

En guise d’introduction à la présentation de la partie du site droitcanonqiue.fr réservée au code des canons des Églises orientales, la soirée s’est terminée par une conférence du Professeur Astrid Kaptijn sur l’apport du Code des canons des Églises catholiques orientales à la législation latine.

AGIDI Kosi Mokpokpo


TROISIEME JOURNEE

30 janvier 2020



Au troisième et dernier jour de la session de formation des personnels des officialités, les travaux, présidés par Mgr Patrick Valdrini (recteur émérite de l’ICP), ont permis à quatre conférenciers d’examiner sous divers aspects la question du droit des parties dans le procès pénal canonique. Après avoir interrogé les spécificités de la procédure pénale des delicta graviora (1ère conférence), un examen particulier a été porté sur la fonction du Promoteur de justice (2ème conférence) et le rôle de l’avocat ecclésiastique dans le procès pénal (3ème conférence), avant que ne fût abordée la délicate question de la demande en réparation des dommages connexe à l’action pénale (4ème conférence).

Le Révérend Père Clément Emefu, doctorant à la Faculté de droit canonique de l’ICP et premier conférencier du jour, a mis en lumière les spécificités majeures de la procédure pénale des delicta graviora contra mores en analysant les évolutions significatives intervenues dans la législation en cette matière depuis la promulgation du Code de 1983. Si le c. 1395 § 2 se contenta de mentionner le délit contra sextum commis par un clerc avec un mineur de moins de 16 ans parmi les délits dont le délai prescription est fixé à cinq ans (c. 1362, § 1, 2°), le Motu proprio Sacramentorum sanctitatis tutela, du 30/04/2001, publia les Normae de delictis gravioribus classant les actes de pédophilie commis par un clerc avec un mineur de moins de 18 ans au nombre des délits les plus graves contre les mœurs, réservés à la Congrégation pour la doctrine de la Foi (CDF) et fixant le délai de prescription à 10 ans. De nouvelles normes, publiées par la CDF le 15/07/2010, introduisirent d’autres spécificités, notamment : la possibilité de prononcer le renvoi de l’état clérical par décret extra-judiciaire en suivant la procédure administrative ou bien la voie ex-officio (par le Pontife romain) ; le délai de prescription fut porté à 20 ans avec une possibilité de dérogation ultérieure. Le récent Motu proprio Vos estis lux mundi, du 7/05/2019, apporte également des nouveautés significatives relatives à l’obligation juridique de signalement à l’autorité ecclésiastique, imposée à tous les clercs et religieux (ses). Toutes ces évolutions, conclut le conférencier, témoignent de la volonté de l’Eglise de se doter d’un système procédural efficace pour réprimer les abus sexuels commis par un clerc sur une personne mineure ou vulnérable.

Quant au second conférencier, le Révérend Père Philippe Toxé, vice-official de Versailles, il a articulé son exposé sur la fonction du Promoteur de justice (PJ) dans le procès pénal en faisant d’abord remarquer que ce dernier a un rôle assez limité dans le système procédural en vigueur. Le PJ qui exerce le ministère public auprès du tribunal ecclésiastique (c. 1430) n’est pas investi du pouvoir juridictionnel et son intervention est envisagée dans trois cas : soit quand la loi le prévoit, soit à la demande du juge, soit à la demande de l’évêque (cc. 1431-1433). Dans les causes pénales, il ne déclenche l’action pénale qu’à la demande de l’ordinaire qui diligente l’enquête préalable et juge de l’opportunité du procès pénal judiciaire (c. 1721). Aussi, le conférencier s’est-il interrogé sur les possibilités de renouvellement du rôle du PJ afin de rehausser la qualité de la procédure pénale canonique. Il conclut en formulant deux propositions : primo, impliquer le PJ dans la phase de l’enquête préalable, soit en la lui confiant, soit au moins en faisant obligation à l’ordinaire de requérir son avis avant de prendre sa décision à la fin de l’investigatio praevia (cf. c. 1718 § 3) ; secundo, prévoir l’intervention du PJ dans le procès pénal administratif, pour une meilleure garantie du respect des normes procédurales.

En début d’après-midi, le Révérend Père Etienne Richer, Doyen émérite de la Faculté de droit canonique de Toulouse, a examiné sous toutes les coutures la manière dont le droit canonique processuel permet à l’avocat d’être au service du justiciable. Bien qu’il ne soit pas mentionné dans les c. 1717 et 1718, l’avocat ecclésiastique devrait agir en amont du procès pénal, comme conseiller juridique, afin de garantir au mieux le droit de la défense durant la phase de l’enquête préalable. C’est d’ailleurs ce que prévoit désormais le Motu proprio Vos estis lux mundi quand un évêque est incriminé (art. 12 § 8). L’intervention de l’avocat dans l’instance judiciaire pénale est nécessaire. Aussi, le droit oblige le juge de désigner un avocat d’office si l’accusé n’en a pas choisi (c. 1723). Le conférencier conclut son exposé par un plaidoyer pour la nécessaire valorisation du rôle de l’avocat dans la procédure administrative à laquelle les ordinaires recourent le plus souvent, mettant ainsi à mal le droit de la défense de l’accusé.

Le dernier exposé du jour a été assuré par le Révérend Père Bruno Gonçalves, Maître de conférences à la Faculté de droit canonique de l’ICP, qui a disséqué la délicate question de la demande en réparation des dommages connexe à l’action pénale (c. 1729). Ayant pris le soin d’évacuer d’abord la question du règlement équitable des dommages qui n’intervient qu’en cas de transaction (c. 1718 § 4), le conférencier a montré que l’action en réparation des dommages du c. 1729 ne peut s’exercer qu’au procès pénal judiciaire et dès le premier degré de jugement, par celui qui se constitue tierce partie suivant le c. 1596. En matière de delicta graviora, souligne-t-il, cette action se heurte souvent à trois difficultés : la prescription, la forclusion et le choix de la procédure administrative par l’ordinaire.

 

Clovis DOUANLA TANKEU